Depuis quelques années, une expression a envahi les discussions sur les relations humaines : le « pervers narcissique ». À en croire certains discours, il y aurait une épidémie de ces manipulateurs diaboliques, souvent désignés comme des hommes, prêts à briser des vies pour leur propre plaisir. Mais qu'en disent les vrais experts de la santé mentale ? Et surtout, pourquoi ce terme est-il si souvent brandi, notamment par les féministes modernes ?
Avant tout, mettons les choses au clair : le « pervers narcissique » n’existe pas en tant que diagnostic médical. Ce terme n'apparaît ni dans le DSM-5, la bible des psychiatres, ni dans la CIM-11, la classification internationale des maladies. Il trouve ses racines dans des théories psychanalytiques datant des années 1980, notamment celles de Paul-Claude Racamier. Mais la psychanalyse, aussi intéressante soit-elle, reste une discipline contestée pour son manque de rigueur scientifique.
Ce qui est reconnu, en revanche, ce sont les troubles de la personnalité tels que le trouble narcissique, borderline ou antisocial. Ces diagnostics reposent sur des critères cliniques précis et sont utilisés pour aider les patients à comprendre et à traiter leurs difficultés. L’idée d’un « pervers narcissique », elle, est trop floue pour être prise au sérieux dans un cadre médical.
Pourquoi alors ce terme est-il si populaire ? Parce qu’il est pratique. Accuser quelqu’un d’être un pervers narcissique permet de le déshumaniser et de l’étiqueter comme le « méchant » de l’histoire. Plus besoin d’analyser les dynamiques complexes d’une relation : l’un est la victime, l’autre le bourreau.
Et qui utilise le plus fréquemment cette étiquette ? Les militantes féministes modernes. Elles voient dans ce concept une arme idéale pour dénoncer le « patriarcat » ou les hommes en général. En réalité, cette généralisation dessert leur cause : elle banalise des comportements vraiment pathologiques et empêche une réflexion constructive sur les relations humaines.
Un autre problème majeur est que ce terme alimente une surpathologisation des comportements humains. Une dispute ? Il est pervers narcissique. Il n’a pas répondu à votre dernier SMS ? Encore un signe.
La complexité des relations humaines, avec ses hauts et ses bas, ses erreurs et ses incompréhensions, est réduite à une caricature. Plutôt que de chercher à comprendre les conflits ou les émotions des deux parties, on choisit le chemin de la simplification : accuser l’autre d’être fondamentalement toxique.
Il est temps de réhabiliter la responsabilité individuelle et la compréhension mutuelle dans les relations. Si vous êtes confronté(e) à une relation difficile, voici quelques pistes :
Prendre du recul : Avant de poser une étiquette, analysez les comportements concrets. Sont-ils vraiment manipulateurs ou simplement maladroits ?
Consulter un professionnel : Un psychologue ou un conseiller peut vous aider à comprendre les dynamiques en jeu sans tomber dans des jugements simplistes.
Cultiver la communication : Beaucoup de conflits naissent d'un manque de dialogue ou d’empathie. Parler, même si c’est difficile, reste souvent la meilleure solution.
Arrêtez de voir des « pervers narcissiques » partout. Ce concept flou est un outil de simplification qui empêche de traiter les vrais problèmes. Tout le monde fait des erreurs, tout le monde peut blesser les autres – cela ne fait pas de nous des monstres. En cessant de diaboliser à tout va, on peut enfin avancer vers des relations plus saines et apaisées.
Image de couverture de l'article : Photo de Jeroen Bosch sur Unsplash